Hollande, une dernière interview pour la route

La veille de son départ du palais, entre deux remplissages de cartons, François a souhaité donner à un journaliste iconoclaste, dénommé Zénobus, une interview vérité, la dernière de son quinquennat. C’était sa 3781e. Une caisse de vin, remontée pour l’occasion de la cave des Citoyens, était déjà bien entamée.

- Merci François, je ne reprendrai pas d’autre verre, je dois garder les idées claires.

- Il faut en profiter, demain c’est fini. Cette Romanée 2012 ne manque pas de retour. Je préfère le millésime 1958, mais il me donne des aigreurs d’estomac. Définitivement, je ne suis pas un homme de vins de garde.

- Pour ma part, je n’ai jamais considéré 2012 comme une grande année. C’est là que toute la pluie a commencé à tomber sur ton pays.

- Dois-je y voir une allusion à mon début de règne ? Je sens que j’ai devant moi un contradicteur…

- Non mais très franchement, François, il s’agit d’être honnête : qu’as-tu fait de ton peuple ?… Ne vois-tu pas le changement qui s'est opéré en lui depuis quelques dizaines d’années ? Certes, tu n'avais pas à condescendre à tâter les parois rances des métros, à naviguer dans les entrailles de la terre, à te perdre là où le peuple gravite, là où il tourne surtout sur lui-même… Mais un chef doit se tenir au courant de l'humeur de la majorité invisible car, au final, c'est elle qui agite l'histoire. Tes femmes sont fatiguées, des cernes ont poussé sous leurs yeux, les sourires ont quitté leurs visages et les robes longues, leurs corps. Elles ont pâli à mesure que la pauvreté et le labeur les ont souillées, elles et leurs maris. Car n’est-ce pas là la première et unique préoccupation que se doit d’avoir à l’esprit un dirigeant suprême : de préserver le teint rose et frais des femmes ?

- Je n’ai jamais envisagé les choses sous cet angle… Mais pourquoi mes femmes? Je n'en ai pas non plus eu tant que ça. Qu'elles aient été fatiguées, en revanche, je ne réfute pas. C’est bien les seules courbes que j’ai réussi à inverser, d’ailleurs. (Rires)

- Ton pays s'embrase et tu sarcasmes encore, François. Toi, l'homme du petit calcul, de la mauvaise conscience et du coup de la commémoration permanente, tu t'es agrippé à la sophistique pour défendre un bilan famélique. Est-ce là déni ou mauvaise foi ? Peu importe : même dans les hameaux les plus reculés, on ne croit plus en toi, ni en tes congénères. Quelles ont été tes motivations, depuis que tu as commencé à commettre de la politique, pour que le fossé qui sépare les tiennes de celles de ton peuple devienne aussi abyssal ?

- Eh bien… Puisque tu sembles si désireux d’en découdre, parlons franchement alors… Même si un président ne devrait pas dire ça (Rictus, puis rires)… De tout temps, je n'ai eu que deux soucis majeurs. Le premier, c’était l'élagage de la cave à vin. Car il est bien connu que le monde se divise en deux : ceux qui font les caves, et ceux qui les boivent. Je suis de cette dernière catégorie : selon moi, les héritages doivent être soldés… Le second, qui a rendu possible le premier, était la préservation de la nomenklatura, par ailleurs indispensable à celle de mes autres intérêts personnels. Cette nomenklatura, dissimulée sous l’illusion de l’alternance depuis quelques dizaines d’années, a été mise en danger en cette fin de Ve République. Il a fallu user de toute notre ruse pour sauvegarder nos privilèges et contenir la poussée des sans-dents et de leurs désirs déraisonnables de liberté et de justice. La chienlit a pu être évitée de justesse ; nous l’avons repoussée d’au moins cinq ans.

- Tu m’a l’air bien sûr de toi. Toi qui utilises, comme le reste de l’échiquier politique d’ailleurs, des termes qu’affectionnait le Général,  rappelle-toi que même cette figure a fini par subir la loi de la rue au beau milieu de son mandat.

- Certes… Nous sommes un pays compliqué. Le Général lui-même, traînant dans son sillage un passé tout de gloire, a dû se colleter avec la rue ; il s’interrogeait sur la gouvernance d’un pays où il existait 258 variétés de fromage… Les choses ne se sont pas arrangées, puisque de nouvelles variétés sont encore apparues depuis. Après lui, les dirigeants ont expérimenté des réformes, petit à petit moins ambitieuses à mesure que diminuait leur charisme, pour finir par ne faire que des annonces de réformes, la plupart sans suite. Les dirigeants ont vite compris que pour satisfaire la majeure partie de la population, il était urgent de ne rien faire, et que l’illusion de l’action était tout aussi salutaire d’un point de vue électoral, à condition de laisser sa place à l’opposition un mandat sur deux… Le peuple est étonnant, il cherche toujours à vivre mieux, surtout lorsqu’il vit déjà très bien, car il sent grossir le gâteau à partager. Heureusement qu’il ne sait pas où se trouvent précisément les richesses, heureusement que nous avons brouillé les pistes et qu’il n’est plus si simple de distinguer comme avant les héritiers et les privilégiés des sans-dents, car nous aurions encore des révolutions sur les bras! Vive les dentistes! (Rires) La grande force du diable, c’est bien de nous faire croire qu’il n’existe pas ! (Rires)

- Ce créneau de l’inaction semble justement s’essouffler. Les nerfs de tes ouailles sont usés jusqu’à la corde. La désespérance appauvrit leur sang. Ta dernière tentative de « faire peuple » n’a pas fonctionné.

- A n’en pas douter, ma normalitude revendiquée a été un créneau vendeur pour se faire élire… Mais on ne guérit pas un peuple de plus d’un millénaire de monarchie en deux coups de cuillère à pot. Le peuple n’est pas encore prêt à se satisfaire de la seule fadeur. J'ai eu beau me faire des escarres en privilégiant les scooters et découcher en catimini d’une brune pour une blonde, j’ai eu beau sanctifier l'égalité et me faire maigrir pour tendre vers l'ouvrier, j’ai eu beau me prendre des hectolitres de pluie sans parapluie, le peuple ne s’y est pas retrouvé.

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