Chanter l'Emmanuel, c'est penser printemps

Le 7 mai 2017, l’Histoire a donné rendez-vous à Emmanuel Macron. L’époque était enfin mûre pour un tel homme. Pâques passée, l’époque était enfin mûre pour une nouvelle résurrection.

La liesse a rempli les rues de Paris, investies pour l’occasion d’une multitude d’autocars à son effigie, symboles d’une révolution enfin en marche. Elle a aussi rempli les rues de province car le candidat désormais élu avait promis de faire une capitale de chaque ville et village français. Et chaque maire, prenant ces déclarations au pied de la lettre, s’imaginant bientôt à la tête d’un ministère en son fief, fêtait ce jour-là la bonne nouvelle avec ses futurs directeurs de cabinet. Tous trinquaient à la mort du jacobinisme et de Paris, à la mort de l’injustice clanique, à la mort des rentiers et des corps intermédiaires, à la mort de l’histoire et de la culture françaises, prochainement fondues dans l’Europe, tous trinquaient enfin, affalés sur leurs tonneaux de vin, à la seconde mort de ceux qui n’avaient jamais marché.

Quelques autres éructaient que les résultats de l’élection avaient été trafiqués, manipulés par des sondages erronés gonflés à la faveur de la complaisance médiatique, achetés par les grands argentiers misant sur les immenses retombées qu'ils pourraient retirer de l'investiture de cet agent infiltré des banques. C'est qu'il n'avaient pas compris qu'Emmanuel n'était qu'immanence et que c’étaient les ondes qui l’avaient choisi, et non l’inverse. Emmanuel n’avait pas plus eu besoin de programme pour se faire élire. A quoi cela servait-il quand on était guidé par une puissance supérieure ? Emmanuel se suffisait à lui-même : il n’avait pas besoin d’expliquer, sa présence seule inspirait. Il était un et indivisible. Le téléspectateur n’avait qu’à plonger dans le bleu de ses yeux pour trouver la réponse à ses questions, il n’avait qu’à s’y perdre pour enfin savoir comment boucler ses fins de mois. Des langues maléfiques, des haineux recroquevillés sur eux-mêmes, des envieux de clans poussiéreux, avaient cru dépister en lui un produit marketing. Pardonnez-leur, car ils n’ont rien compris! Le 7 mai a commencé leur purgatoire.

Emmanuel en a lui-même convenu, la posture et le moment ont été christiques. Il a d’ailleurs volontiers accepté la comparaison avec le Prophète qui voulait jadis libérer le peuple juif. Mais son champ d’action à lui, ce n’était pas que Rothschild, ce qui aurait été là une réduction doublée d’un abominable amalgame. Sa voix, que d’aucuns critiquaient alors comme dénuée de sens, était au contraire divinement poétique. Elle était la voix de la transcendance et, de ce fait, parlait à l’humanité entière. Certes, il le reconnaissait, elle était difficilement audible par certaines catégories de la population, telles que les ouvrières illettrées de Bretagne ou les alcooliques et drogués des bassins miniers du nord. Mais pour ces pauvres hères, que son père spirituel disqualifiait à tort, ces sans-dents, la lumière luisait de nouveau. Car il a suffi que l’aura mystique du jeune et bel Emmanuel rencontre leurs rétines pour que, comme à leur vingt ans, ils « pensent de nouveau printemps ». Il n’y avait bien que Lui pour réaliser une telle prouesse : faire en sorte que l’ouvrier, le lundi matin, chante ses louanges en rallumant les hauts fourneaux, rendant grâce en riant au libérateur des opprimés, cet homme si riche de cœur et si pauvre de patrimoine.

Ce sur quoi, une fois élu, Emmanuel dit que, pour réformer, les choses n'étaient quand même pas aussi simples, qu’on ne pouvait raisonnablement pas édifier des ministères ça et là en province et qu’il ne fallait pas prendre le risque que les plus éloignés les uns des autres ne le soient pas à plus de 15mn à vol d’autocar. Qu'il ne fallait pas bousculer trop brusquement les habitudes et que, pardon de le dire, il fallait aussi prendre en compte les voix des minorités, fussent-elles de castes car, malgré son jeune âge et l'inexpérience que les brontosaures de la politique lui prêtaient, il connaissait mieux que quiconque les arcanes sclérosées du pouvoir et, même si cela devait lui attirer les reproches, qu’il respectait ces arcanes, elles aussi. Que ce n'est pas parce qu'il était jeune qu'il allait forcément bouger plus. Que sa volonté temporairement permanente du statu quo n'était en aucun cas une affaire d'immobilisme, mais qu'elle était avant tout motivée par l'idée d'éviter une nouvelle épuration, qui aurait rappelé les heures les plus sombres de notre histoire, etc. Qu'il était cependant hors de question qu'il revienne sur toutes ses promesses et qu'à la fin, comme convenu, il renouvelait son serment que la plupart des jeunes soient milliardaires à la fin de son quinquennat, que cela était bien la moindre des choses après toutes ces années qu'ils avaient passé à suffoquer le nez dans les cendres du chômage, et qu’il souhaitait être jugé à cette aune, uniquement, à la fin de son mandat.

Le charisme s’imposant de lui-même sans que la Raison ait à y redire, les plus réfractaires baissèrent pavillon devant cet homme qui exerçait tant de fascination. Et même si à la fin, il ne resta absolument rien de ses commandements de campagne, le peuple demeura heureux. Il les avait certes tant fait marcher, mais les Français gardèrent toujours en eux une immense fierté d’avoir un président enfin plus beau que son prédécesseur. Ils ne perdirent jamais de vue que pour retrouver dans l’histoire un dirigeant avec des yeux si pétillants, ces yeux propres aux visionnaires, il fallait au moins remonter à Bonaparte.

Du reste, malheureusement pour eux, Emmanuel n’alla pas au bout de son CDD. Car il trouva entre temps un meilleur job, à vie et mieux payé, même s'il ne voulut jamais le confirmer, à la Commission Européenne. Posture gaullienne, on le vit donc quitter le pouvoir sans y avoir été contraint. Deux ans après son élection, on le vit prendre congé du perron de son palais en serrant la main à l'extrémisme qui le remplaçait. Il déclara sans détour que le peuple devait prendre son destin en main, qu’il fallait retirer les barricades et les barbelés qui avaient poussé dans les rues de notre beau pays car ils n’étaient pas une solution démocratique, qu’à son instar, il fallait toujours sauter sur l’occasion de marcher vers le mieux, qu’il y avait toujours une place pour l’optimisme et le printemps, que la vie était belle, etc.

Commentaires

Articles les plus consultés