Marianne a pâli
L'année 2025 débutait déjà, sous nos nouveaux hivers des tropiques.
Le plongeon du Nouvel An dans la mer du Nord n'était plus l'apanage
des plus endurcis, de ceux qui, d'ordinaire, trouvaient à cette occasion
leur heure de gloire annuelle devant les caméras du monde entier, et
surtout devant celle de Jean-Pierre Pernod. Les carcasses noires des
stations de ski déprimaient les paysages des hauteurs, comme celles des
puits d'or noir ceux des déserts. Vestiges d'un ancien monde ayant dû
apprendre à composer avec le froid.
Dans les jardins de certains quartiers des Batignoles et du Marais, les
enfants, encore insouciants sous les jupes longues de leurs mères,
répondaient presque tous au doux prénom d'Aylan. Aylan était préféré à
Leonarda. On se murmurait que les terroristes avaient désormais investi
la rue des Martyrs. Mais ce secret de polichinelle n'entraînait guère de
réactions de la part des forces de l'ordre car la République refusait
les amalgames. Tout à leur barbe, les terroristes se fondaient dans la
masse des hipsters. Aux Invalides, des salles inoccupées depuis des
dizaines d'années avaient rouvert afin d'accueillir les gueules cassées
de la nouvelle guerre civile, dont on devait taire le nom car il n'était
pas envisageable que l'ennemi ait pu grandir en tétant le sein de
Marianne.
Marianne, d'ailleurs, avait pâli ces derniers temps. Ses joues s'étaient
creusées au fur et à mesure que la croyance en ses idéaux avait cessé
d'être partagée. Elle n'arborait plus ni son fier port de tête, ni son
interminable décolleté, ni ses couleurs cocardières. La morale, qui
composait tant bien que mal avec la schizophrénie pornographique
anglo-saxonne, réprouvait désormais l'exposition de son sein. On ne se
l'imaginait plus que de profil, une larme à l'œil, dans une posture
minimaliste, ou sous les traits d'une ancienne escort girl. Elle
évoquait plutôt la femme qui était dans le lit de Reggiani que
l'originale de Delacroix.
Des cernes avaient poussé sur son visage. La fatigue et la peur
étaient devenues son lot quotidien. Elle regrettait le temps d'avant où
le monde, uni dans une même ferveur, dansait autour d'elle en hurlant
son nom, Liberté.
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